Rencontres au sommet du Pizzo

Subitement, de derrière une arête rocailleuse, surgit un daim mâle arborant fièrement ses grands bois plats aux formes palmées. Son corps musculeux escalade avec assurance les pierriers. Il arrive au point culminant, s’arrête un instant, contemple son royaume dont la forêt brille sous le soleil comme un trésor de métaux semi-précieux.

Une pierre roule en contrebas. Le bruit résonne dans l’air limpide, puis le silence retombe… Seul le bourdonnement d’un frelon virevoltant entre les rochers parsemés de plantes grasses et de chardons secs aux épines acérées se fait entendre. Tout semble immobile sur cette crête qui s’éloigne du Pizzo Carbonara. Le toit des Madonie, à 1979 mètres au-dessus de la mer Tyrrhénienne, s’érige au cœur de la Sicile telle une masse pelée parsemée de pierres calcaires blanches et des bosquets flamboyants de cette fin d’octobre.

Subitement, de derrière une arête rocailleuse, surgit un daim mâle arborant fièrement ses grands bois plats aux formes palmées. Son corps musculeux escalade avec assurance les pierriers. Il arrive au point culminant, s’arrête un instant, contemple son royaume dont la forêt brille sous le soleil comme un trésor de métaux semi-précieux. Une daine le rejoint en quelques bonds gracieux. Tous deux trottinent un instant sur la cime puis redescendent la pente et entrent dans un bois de hêtres qui les dissimule.

Les randonneurs poursuivent leur cheminement sur les crêtes qui s’avancent en direction de la mer. Les cailloux, usés par des millénaires d’érosion, laissent apparaître des fossiles aux détours d’un sentier à peine perceptible. Colonies de moules, mollusques et autres coquillages pétrifiés qui semblent éternels. Et sont pourtant condamnés à disparaitre sous les assauts des neiges, des pluies, des vents et du temps.

Les montagnes se succèdent dans le lointain, peu à peu moins élevées. Des villages perchés s’accrochent ci et là au sommet d’une colline un peu plus haute que les autres.  A l’horizon, la mer se confond avec le ciel, dans un bleu brumeux. De la fumée s’élève depuis les replis du terrain des lointaines collines du massif, traces des activités agricoles automnales traditionnelles.

Deux corbeaux planent majestueusement au-dessus de la montagne, survolant le sommet avant de descendre vers la plaine, lentement. Leur vol lent et circulaire les fait ressembler à des rapaces. L’un d’eux laisse échapper son cri éraillé qui résonne dans l’immensité du ciel.

Tout respire l’automne dans la montagne, les couleurs, les parfums boisés et terreux, le bruit des feuilles sèches et cassantes sous les pas, l’air pur et profond.

Le vent souffle, à peine frais malgré la saison déjà avancée. Le sentier débouche maintenant sur le sommet du Pizzo Palermo. Deux daines sont déjà là. Elles arrachent d’un mouvement nerveux de la tête les quelques touffes d’herbes qui poussent encore entre les rochers. Perchées sur leurs pattes fines et graciles, elles sont drapées dans leur robe brune. Ce pelage chaleureux se termine en une queue noire et courte, qui forme un contraste saisissant avec le blanc de leur postérieur. Les deux bêtes semblent incarner une forme de raffinement élégant. Les marcheurs les observent de longues minutes en silence. Tout à coup, elles relèvent la tête comme par hasard et posent les yeux sur le couple que le vent contraire leur avait dissimulé jusque-là. Le temps semble comme suspendu. Hommes et cervidés restent figés pendant ce long échange de regards. Tous retiennent leur respiration, profitant d’un instant de grâce, parcelle d’éternité. D’un seul coup, répondant à un appel audible d’elles seules, les daines tournent la tête et fuient en quelques sauts. L’une d’elles pousse un cri rauque, qui détonne avec la grâce de sa course bondissante. A leur tour, elles pénètrent sous le couvert des hêtres tortueux de la pente.


Ces hêtres, petits et noueux, parsèment les monts des Madonie au-delà de 1500 mètres d’altitude. Sous l’effet des vents permanents à cette altitude, ils ne peuvent s’élever en hauteur comme leurs semblables des plaines.

A la redescente, un pli de terrain cache un troupeau de chèvres sauvages. Surprises de voir arriver des marcheurs sur ce chemin habituellement délaissé, elles les dévisagent un instant. Puis elles fuient de toutes parts, courent dans la montée, s’égaillent vers les hauteurs. Le bouc quant à lui s’éloigne d’un pas plus lent, qui se veut solennel, dissimulant de son mieux sa légère hâte à s’éloigner des visiteurs inattendus. Au milieu du troupeau des bêtes aux cornes hautes et légèrement torsadées, aux poils longs, apparaît alors la robe bouclée d’un mouton qui a délaissé ses congénères domestiques, et semble prendre goût à la vie sauvage. Cette présence incongrue porte à sourire. Les randonneurs traversent la zone laissée déserte, mais marquée par une odeur âcre et pénétrante. Pour eux, il est temps désormais de terminer la descente, sous l’or du soir qui tombe.

Surprises de voir arriver des marcheurs sur ce chemin habituellement délaissé, elles les dévisagent un instant.

Texte : Adeline Ferrier | Photos : Théodore Heitz